• 05.09.2021

Point de Vue Petite histoire du français et de son orthographe

L’orthographe, qui n’avait cessé d’évoluer et de s’adapter aux usages, devient intouchable dès la généralisation de l’école obligatoire. 

Le latin avant tout

Tout commence par le latin et l’usage  dès le Moyen-Âge d’un manuel dont la longévité n’a jamais été égalée : l’Ars Donati grammatici de Donat datant du IVe siècle après J-C. Durant des siècles, les élèves des pays européens apprennent à lire dans cette austère grammaire latine. Les archives de Biasca (Tessin) révèlent qu’au XVIe siècle, les enfants qui fréquentent la classe du curé apprennent le Donat par cœur et  récitent le catéchisme en italien. Ces petits patoisants sont donc plongés dans deux langues étrangères dès le début de leurs classes. Un enseignement immersif avant la lettre en quelque sorte. 

Thomas Platter, pauvre chevrier valaisan, raconte ses errances de jeune homme en quête d’instruction. En 1517, il fréquente la classe de Sapidus à Sélestat (Alsace) :   « Quand j’entrai à l’école,  je ne savais rien, pas même lire le Donat ; j’avais pourtant dix-huit ans. Je pris place au milieu des petits enfants : on eût dit une poule parmi ses poussins ( Ma Vie, op.cit. p 33). A force de persévérance, Platter devint directeur de la prestigieuse École latine de Bâle.  

 

A l’école des réformateurs 

Les Réformateurs du XVIe siècle décrètent l’instruction publique obligatoire et suppriment l’apprentissage du latin dans les écoles élémentaires.  Les enfants de toutes conditions doivent être capables de lire les Écritures. Dans les cantons réformés, la classe se déroule désormais en français ou en Hochdeutsch. Les réformateurs éditent des catéchismes, unifient les programmes et les moyens d’enseignement des écoles primaires. Les pasteurs surveillent la qualité de l’enseignement et décident quand les élèves ont d’assez bonnes connaissances pour quitter l’école et se présenter à la Cène.  

 

L’avènement des grammaires

Vient le temps où paraissent les premières grammaires, les ancêtres de nos grammaires en quelque sorte.  Publiées dès le XVIe siècle, elles commencent par reprendre le modèle connu des grammaires latinescelle de Donat, en particulier. Un choix judicieux car le Donat est en usage dans tous les pays européens.  Ces premières grammaires s’adressent à des étrangers cultivés, les Anglais en particulier, désireux d’apprendre le français.

Au fil du temps, les grammairiens se détachent de la tradition latine et se mettent à rédiger des grammaires dites pédagogiques, souvent sous forme de dialogues. Les grammaires scolaires commencent véritablement leur carrière au XVIIIe siècle ; elles traitent surtout du bon usage et des fautes courantes. Elles ouvrent la voie à l’orthographe normative, laquelle connaîtra son véritable essor un siècle plus tard (Colombat 2013). 

 

La fin de l’ère des réformes de l’orthographe

De 1650 à 1835, on compte dix-sept réformes de l’orthographe. Cet esprit d’ouverture à l’usage de la langue  se tarit dès la généralisation de l’instruction. L’orthographe devient alors figée, comme gravée dans le marbre. 

Le linguiste Michel Bréal (1832-1915), déplore en vain que l’on « gaspille le meilleur du temps, de  la peine et de la bonne volonté de nos enfants » à des « vétilles orthographiques », et déclare que « née dans l’école, grandie dans l’école, [l’orthographe] en [était] devenue le tyran ». Et les querelles quant à l’orthographe et à la manière de l’enseigner de commencer alors leur carrière. 

 

Ne touche pas à mon orthographe !

Toute réforme de  ce bijou de famille qu’est devenue l’orthographe provoque des débats enflammés. Le premier ministre, Michel Rocard, se lance dans une telle aventure en 1990. Il écrit dans son ouvrage "Le français, langue des droits de l'Homme" :    "La bataille ubuesque et dépourvue de tout rapport avec la réalité des enjeux qui s’est déroulée à cette occasion reste l’un de mes plus pittoresques souvenir politique". Un Conseil supérieur de la langue française composé d’experts et de représentants de l’Académie française fut chargé de proposer des rectifications orthographiques, à vrai dire, mineures : « le trait d'union, le pluriel des mots composés, l'accent circonflexe, le participe passé et diverses anomalies. ». Par exemple, il est admis d’écrire ile sans accent circonflexe car ce dernier avait remplacé le s de l’ancienne orthographe isle. Rien de révolutionnaire face à l’écriture inclusive, laquelle rebute les enfants tant elle  s’avère difficile à déchiffrer.  

 

Simone Forster

 

Bernard Colombat, “L’héritage du modèle latin dans les grammaires françaises à la Renaissance”, Documents pour l’histoire du français langue étrangère ou seconde, 51 | 2013, 11-38

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