Faut-il avoir connu l’exil, subi la violence aveugle de la tyrannie, éprouvé la souffrance si intime d’une espérance trahie ou courbé l’échine sous le poids de l’injustice, pour comprendre combien l’utopie est essentielle, libératrice et source d’espoir ?
Il faut s’entendre sur le sens que nous donnons au mot. En réduisant l’utopie à un idéal, un projet imaginaire, impossible ou hors d’atteinte, nous admettons une limite à nos aspirations et à nos potentiels. Cette limite pourrait être en soi paralysante et nous interdire toute interrogation, toute réflexion sur la possibilité d’un autre monde, d’une autre vie, d’un nouveau projet. Elle pourrait nous maintenir dans une passivité pathologique et nous entretenir dans une expectative qui nous maintient et nous enferme dans nos doutes, nos failles et nos faiblesses.
Or, si nous définissons l’utopie comme quête d’un idéal, source et force créatrice de tous les possibles, un chemin qui tend vers l’infini, vers le beau, avec cette conscience des embûches et des obstacles, nous adoptons une position intellectuelle et émotionnelle favorable à l’audace et à l’ouverture. L’utopie devient alors cette force qui nous permet d’avancer, de nous battre, de construire ou reconstruire, d’inventer, d’imaginer, de créer et de persévérer au-delà des doutes et des entraves qui bousculent nos desseins.
Cette utopie ou cette quête d’un idéal qui nous aspire et nous anime ne doit jamais être absolue. Elle doit être associée à l’idée d’infini et admettre l’imperfection du chemin à créer et à construire. Ce chemin exige un esprit libre, qui puisse nous transporter au-delà de ce qui est perceptible, afin de dépasser un environnement qui nous conditionne et nous conforte chaque jour davantage dans notre conformisme et nos certitudes… Il nous appartient de gratter, creuser et agrandir cette petite lueur qui pourra faire jaillir l’imagination et la créativité.
Le chemin n’est jamais facile. Il est à la fois long et exigeant. L’histoire du Simorgh dans le cantique des oiseaux est là pour nous le rappeler. Dans ce récit, Farid al-din Attar, poète mystique persan du XIIe-XIIIe siècle, nous raconte, à travers le voyage initiatique de milliers d’oiseaux en quête du Simurgh -¬ l’oiseau roi qui personnifie l’idéal à atteindre - ¬, combien la foi et la persévérance sont essentielles pour découvrir le « moi profond », essence et boussole de cet idéal qui nous oriente.
Parfois, sur notre chemin, dans notre quête d’idéal, dans les projets que nous aimerions réaliser, nous rencontrons des personnes qui croient en nos rêves, qui nous soutiennent, nous accompagnent et rendent possible l’impossible. L’utopie est aussi source de dialogue, de complicité, d’enthousiasme et d’amitié autour de projets partagés, donnant à la fois sens et substance à la vie.
Nos vies sont cycliques avec des chemins que nous choisissons. Rien n’est jamais parfait, rien n’est jamais acquis, rien n’est jamais définitif. Mais sans cette utopie qui nous met en marche, il est difficile d’imaginer une vie de liberté, de créativité, une vie emplie de beauté.
Zahra Banisadr
À paraître le 29 août! #littérature