Le soleil paresseux se lève sur cette ville qui n’est plus tout à fait la même. Un peu mélancolique, j’enfourche mon vélo comme je le faisais chaque matin avant cette crise… Je descends ma rue, traverse le bois, puis dévale les grandes avenues habituellement bondées, mais aujourd’hui, seuls résonnent le bruissement des feuilles et les vocalises des oiseaux. Plus d’obstacle, plus d’agacement, plus d’odeur étouffante, je respire, j’accélère, je me sens libre, tellement libre. Perdue dans mes songes, je rêve que cette ferveur ne me quitte plus, et que ce moment devienne notre nouvelle normalité. Que chacun réalise que notre plus grande liberté est de pouvoir évoluer dans un monde sain et que l’air, l’eau et la terre sont les fondements de la vie. Je pédale presque frénétiquement et, en cet instant, je suis plus déterminée que jamais à me battre pour notre avenir.
Après deux mois de confinement, l’heure est au premier bilan. Cette crise sanitaire a offert un sursis à la nature qui commence à reprendre ses marques. Notre atmosphère est la première à en profiter, car elle a expérimenté une diminution marquée de la pollution de l’air, notamment des émissions de gaz à effet de serre. Une étude1 récente de l’Agence Internationale de l’Energie estime à 8% la baisse des émissions de carbone pour l’année 2020. Cela équivaut aux objectifs climatiques annuels nécessaires pour éviter une dégradation irréversible de la vie sur Terre. Il aura donc fallu un virus pour que les états sortent enfin leurs baguettes magiques pour freiner brusquement cette course infernale. Mais gardons la tête froide, car ces efforts ne seront bénéfiques pour le climat uniquement s’ils continuent sur la durée et si des actions gouvernementales de grande ampleur sont mises en œuvre rapidement. Si rien n’est fait pour limiter les émissions de gaz à effet de serre, ce qui nous attend dans les décennies à venir, est d’une ampleur bien plus considérable que ce qui découle de la crise actuelle. Les changements climatiques, au-delà de leurs conséquences les plus connues, élargissent également les zones de propagation de nombreuses maladies et celles-ci suivent les grandes autoroutes touristiques et commerciales créées par la globalisation. Nous vivons donc dans un système qui promeut la récurrence de pandémies.
Selon les derniers chiffres2 énoncés par les économistes, la part des PIB consacrée à la relance économique s’annonce jusqu’à 10 fois plus importante que celle estimée nécessaire annuellement pour atteindre les objectifs climatiques de l’Accord de Paris. Alors que tout est à l’arrêt, c’est le meilleur moment pour faire l’inventaire et revoir en profondeur notre fragile système économique. Le temps des promesses est révolu, il faut maintenant passer aux décisions concrètes et à l’action pour flécher les dépenses publiques en faveur d’une transition socio-environnementale urgente, mais durable. Un des points cruciaux concerne la relocalisation de la production et de la consommation. Mais n’oublions pas que les consommateurs sont les interrupteurs de ce système globalisé. En consommant moins et de meilleure qualité et en favorisant les produits locaux et la mutualisation des services, chaque individu a un rôle clé à jouer. Il en vient à chacun de réfléchir à ce qui compte vraiment et à distinguer l’essentiel du superflu. Cette période de crise bouleverse les activités de nombreux indépendants, des petites entreprises locales et de nos agriculteurs, surtout en vue de la sécheresse qui s’annonce. Profitons-en pour poser nos valises cet été et être solidaires ! N’hésitons pas à ouvrir le dialogue et à proposer notre aide quelle qu’elle soit, car il faut à tout prix lutter pour la survie de ces exploitations et de ces activités locales.
Concentrons-nous sur les bonnes nouvelles qui commencent également à affluer. Venise a annoncé ne plus vouloir de ce tourisme de masse et plusieurs grandes villes européennes ont l’air de cet avis. Le télétravail semble plaire à nombreux travailleurs et les employeurs se rendent compte des bienfaits de celui-ci. Plus de télétravail signifierait une baisse massive des émissions dues aux transports, baisse qui pourrait s’intensifier grâce à la place plus grande que les villes ont laissée aux vélos durant ce confinement. Pourvu que cela dure ! Et les dernières statistiques montrent que la majeure partie de la population souhaite une relance vers un système plus juste et durable. Nous sommes donc à l’aube d’une révolution sans précédent, dont nous sommes tous les acteurs. Levons-nous, engageons-nous, soyons critiques et créatifs, mais surtout réjouissons-nous du demain que nous sommes capables de construire ensemble. Un demain plus égalitaire, plus durable et meilleur pour notre santé et celle de la planète. Mais surtout, un demain basé sur l’essentiel : le respect de la Vie !
Concernant l’auteure :
Célia Sapart est climatologue et glaciologue à l’ Université Libre de Bruxelles et Experte Climat et Responsable de Communication chez CO2 Value Europe.
Pour plus d’informations :
https://www.linkedin.com/in/c%C3%A9lia-julia-sapart-76460937/
https://solaupolenord.org/celia-sapart/
1IEA- Global Energy Review 2020 : https://www.iea.org/reports/global-energy-review-2020
2 La transition socio-écologique sera-t-elle la grande oubliée de la relance post-Covid ? Prof J.-C. Graz (Université de Lausanne), The Conversation : https://theconversation.com/la-transition-socio-ecologique-sera-t-elle-la-grande-oubliee-de-la-relance-post-covid-135231